Happy Hour du Chef : Paysages de l’âme

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Happy Hour du Chef : Paysages de l’âme

Si la série « Happy Hour » de l’Orchestre national du Capitole donne en général rendez-vous avec un instrument ou un pupitre, c’est ici Tarmo Peltokoski, directeur musical désigné de l’Orchestre, qui se révèle un peu plus dans un programme très personnel s’achevant en apothéose sur La Mer de Debussy. Avec ce voyage en quatre œuvres, deux françaises et deux finlandaises, Peltokoski entrouvre la porte sur son sielunmaisema, expression finlandaise signifiant littéralement « paysage de l’âme ».

ENTRETIEN AVEC TARMO PELTOKOSKI

Pour ce concert « Happy Hour », vous faites le choix de compositeurs français et finlandais. Est-ce dans l’optique de créer un pont entre votre culture et celle de l’Orchestre et du public ? Ou est-ce tout simplement parce que ces compositeurs vous touchent particulièrement ?

C’est un peu tout cela à la fois. En cette saison 24/25, l’Orchestre et moi avons abordé des œuvres de compositeurs de différentes nationalités. Nous avons ainsi donné une symphonie du Britannique Vaughan Williams, ce qui est quelque chose d’assez nouveau pour l’Orchestre du Capitole, et notre grande tournée du printemps en Allemagne sera quant à elle dédiée à de la musique germanique et française, avec Bloch, Bruckner, Mahler,
Debussy et Ravel. La série « Happy Hour » tient une place toute particulière dans notre programmation. Je suis très heureux d’y participer, et encore plus d’y diriger pour la première fois l’Orchestre du Capitole dans des œuvres de mon propre pays, la Finlande. Nous clôturons le concert avec La Mer de Debussy, qui représente la quintessence de la musique classique française. C’est autour de cette pièce que nous avons bâti le reste du programme : j’ai ensuite choisi Le Tombeau resplendissant de Messiaen, compositeur que j’affectionne énormément, et deux pièces finlandaises contemporaines, toutes les deux connectées à la France.

Vraiment ? Pouvez-vous nous en dire plus sur la touche française de ces œuvres finlandaises ?

Dans le cas d’Esa-Pekka Salonen, compositeur et chef d’orchestre, cela tient avant tout aux liens très forts qu’il a tissés avec des orchestres parisiens. Il avait aussi tissé une amitié intense avec Kaija Saariaho, qui allait de pair avec une collaboration artistique suivie. Quoique Finlandaise, Saariaho est en quelque sorte devenue française : elle a vécu à Paris pendant des décennies, plus de la moitié de sa vie finalement, et elle y a fondé une famille. Sa musique montre à la fois son esprit finnois et l’inspiration reçue de la France. Elle s’est aussi beaucoup impliquée dans de nombreuses institutions culturelles françaises, comme l’IRCAM. Kaija Saariaho est décédée en juin 2023. J’ai eu la chance de la rencontrer à plusieurs reprises, c’était une personne absolument adorable, très attachante.

La pièce d’ouverture, Le Tombeau resplendissant, composée par un Messiaen de 23 ans, est une ode à la jeunesse qu’il a perdue. Est-ce que cela vous parle ?

En quelque sorte, oui, on peut dire que j’ai perdu ma jeunesse, mais quand je dirige cette œuvre, ce n’est pas ce à quoi je pense ! J’adore l’œuvre de Messiaen dans sa totalité, et j’ai coutume de dire qu’il s’agit de mon compositeur français préféré. Il me tient vraiment à cœur de diriger à nouveau des pièces de Messiaen avec l’Orchestre du Capitole dans le futur. Il a une écriture unique ; personne d’autre que lui n’aurait pu composer ce Tombeau resplendissant. Cette pièce qu’il a composée très jeune, en mémoire de sa mère, exprime des sentiments incroyablement profonds. Comme dans toute son œuvre, on y perçoit aussi nettement la puissante influence de son catholicisme.

Le programme passe ensuite aux pièces finlandaises, avec Helix et Ciel d’hiver…

Ces deux pièces sont assez brèves. Helix est un petit bijou orchestral. Il s’agit en fait d’un gigantesque accelerando. Il faut vous imaginer face à un gâteau, en train de presser une douille pleine de crème pour le décorer. La musique commence tranquillement, et puis elle s’emballe, plus vite, plus vite, plus vite… et quand il devient impossible de pousser encore l’allure, elle s’arrête ! Helix est une pièce très facile d’accès, vraiment « cool ». Comme Esa- Pekka Salonen d’ailleurs ! Suite à une commande de l’Orchestre de Cleveland, Kaija Saariaho a écrit la symphonie Orion en trois mouvements, inspirée par la constellation du même nom. L’orchestre y est absolument gigantesque, avec des bois par quatre et même un orgue ; il s’agit peut-être de la plus grosse nomenclature de son répertoire. Elle en a réorchestré le deuxième mouvement, Winter Sky, pour plus petit ensemble, et a traduit le titre en français : ainsi est né Ciel d’hiver. C’est un très joli paysage sonore d’une dizaine de minutes, dans le style qui caractérise Saariaho. On y retrouve ce sens du détail qui rend sa musique si personnelle, reconnaissable entre toutes, avec des
couleurs où les styles français et finnois se mélangent harmonieusement.

Est-ce la première fois que vous dirigez La Mer, sur laquelle se ferme le concert ?

Pas tout à fait, j’ai déjà dirigé La Mer il y a quelques mois, à Riga. Je me serais senti un peu nerveux à l’idée de me lancer avec l’Orchestre du Capitole, sans l’avoir jamais dirigée auparavant, dans une œuvre qui tient tellement à cœur aux Français ! Après cette première expérience, je me sens plus serein. Je vais continuer à en étudier la partition, et faire de mon mieux.

Est-ce une simple coïncidence de programmer ainsi La Mer la même saison que la Sea Symphony de Vaughan Williams ?

Effectivement, c’est un hasard ! Mais je me suis souvent demandé à quoi ressemblerait un concert où l’on associerait les deux œuvres. Il faudra bien que je finisse par tirer cela au clair un jour !

Les quatre pièces de ce concert ont un point commun : leur titre excite l’imagination en annonçant clairement une inspiration, ou une volonté de description en musique – ce qu’on appelle la musique « à programme ». Avez-vous un goût particulier pour ce type de musique ?

Je pense que nous sommes tous un peu sensibles à ces œuvres-là. Toutefois, je ne tiens pas à trop m’empêtrer dans des comparaisons entre musique dite pure et musique à programme. Toutes les œuvres, qu’elles appartiennent à l’une ou l’autre catégorie, sont avant tout de la musique, et peuvent donc toutes être passionnantes.

Pouvons-nous nous attendre à ce que ces compositeurs ainsi mis en lumière pour votre « Happy Hour » reviennent dans les saisons futures ?

Il m’est encore impossible de vous donner trop de détails sur ce qui viendra, mais oui, absolument, nous retrouverons tous ces compositeurs !

Propos recueillis par Mathilde Serraille

Crédits photos :

  1. La grande compositrice finlandaise Kaija Saariaho, qui s’est éteinte le 2 juin 2023 à Paris © GMaxppp – Raphael Gaillarde
  2. Olivier Messiaen en 1937 Studio Harcourt (colorisé). © DR
  3. Albert Edelfelt, Enfants au bord de l’eau, 1884. Peintre de la jeunesse perdue et des paysages de l’âme, Edelfelt (1854-1905) incarne un âge d’or de la peinture finlandaise. © Galerie nationale de Finlande

Happy Hour

Happy Hour du Chef

Tarmo Peltokoski 

samedi 24 mai 2025 – 18h00