Le prince Williams
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À l’occasion du ciné-concert événement Un nouvel espoir, où l’Orchestre national du Capitole va faire flamboyer les célèbres thèmes de la série Star Wars, rendons hommage au génie de leur auteur, John Williams. Immense érudit et infatigable enquêteur, Stéphane Lerouge est à la fois l’Hercule et le Sherlock de la musique à l’image en France. Il nous révèle les secrets de l’œuvre de Williams, qu’il a largement explorée, et dont les partitions archi-populaires et multi-récompensées ne représentent qu’un pan.
ENTRETIEN AVEC Stéphane Lerouge
Vous dirigez la collection discographique Écoutez le cinéma !, comprenant de nombreux coffrets d’anthologie, dédiés à François de Roubaix, Georges Delerue ou Michel Legrand. Comment vous sentiez-vous au moment d’aborder celui sur John Williams ?
C’est un peu le principe d’une chaîne. En novembre 2018, nous avons publié le coffret Michel Legrand, Les Moulins de son cœur, premier coffret d’Écoutez le cinéma ! de 20 CD au format livre d’art. Qui a déclenché deux coffrets sur Morricone qui, eux-mêmes, ont provoqué en 2023 l’accord de John Williams sur un projet similaire. Sa réponse a été assez rapide, conditionnée à la validation des aspects successifs du coffret, du contenu des 20 CD thématiques au graphisme, en passant par le rédactionnel. Tout restait encore à faire mais, première étape, nous avions la bénédiction du maître. Voilà comment, par ricochet, le grand Michel m’aura finalement mené à son ami Williams.

Comment John Williams est-il devenu John Williams ?
Il répond à cette question de façon simple : « Mon son n’est pas né avec un film précis mais avec une succession de films, qui m’ont permis peu à peu d’approfondir mon écriture pour orchestre, de me trouver, en quelque sorte. » Personnellement, je dirais : grâce à la combinaison entre son immense talent et la chance d’être présent au bon moment, au bon endroit. C’est l’histoire d’un jeune garçon, fondu de jazz, de musique moderne, de musique romantique, impressionniste… et qui, à la mi-temps des années cinquante, se retrouve à Hollywood comme orchestrateur et pianiste de studio. Dans le sillage d’Henry Mancini, on va lui proposer de composer pour des séries télé, puis des comédies légères, notamment Comment voler un million de dollars avec Audrey Hepburn. Il y aura ensuite les collaborations avec les cinéastes Mark Rydell, Robert Altman, un triptyque de films catastrophes, et enfin en 1973 la rencontre décisive avec Spielberg. En 1975, la bande originale de leur deuxième film, Les Dents de la mer, permet à Williams d’accéder au sommet : la Liste A des compositeurs hollywoodiens, place qu’il occupe toujours, cinquante ans plus tard. Avec Francis Lai- Lelouch, Williams-Spielberg, c’est l’une
des collaborations cinéaste-compositeur les plus longues et fructueuses de l’histoire du cinéma.
Y a-t-il une partition de John Williams, moins connue que les autres, que vous souhaiteriez mettre en lumière ?
Ce n’est pas une partition précise mais plutôt une période de son parcours où sa culture d’homme de jazz infusait dans son langage, notamment via des partitions comme Le Privé (dont il est lui-même pianiste soliste, en trio), Cinderella liberty (avec le timbre inouï de Toots Thielemans, le Charlie Parker de l’harmonica) ou La Sanction, l’unique rendez-vous avec Clint Eastwood, fascinant amalgame de baroque, de jazz et de seconde École de Vienne. On réduit trop souvent Williams à ses fraternités avec Spielberg ou George Lucas, en oubliant qu’il a mis en musique les images d’Hitchcock (sur son chant du cygne, Complot de famille), mais aussi celles de Sydney Pollack, Brian De Palma ou Altman avec notamment Images, partition hors-format qui lui a permis de faire un pas vers le compositeur phare de sa jeunesse, Edgar Varèse.
Avez-vous rencontré John Williams ?
Être en tête-à-tête avec lui tient de l’audience papale ! Pour à la fois balayer le contenu du coffret et réaliser une longue interview pour son livret, Williams m’a reçu dans son bungalow historique, chez Universal Studios, bungalow qu’il occupe depuis… Il est impressionnant d’entrer dans cet antre où sont nés tant de chefs-d’œuvre, d’E.T. aux Aventuriers de l’arche perdue. Il était chaleureux, très rieur, enthousiaste. C’est un monstre sacré mais qui ne se considère ni ne se comporte comme tel. Il répète sans cesse n’avoir rien écrit qui puisse rivaliser avec Bach, Brahms ou Ravel. On a beaucoup parlé de la frontière entre son langage pour le cinéma et pour le concert, de son trio de mentors (Previn, Herrmann et Mancini), de la césure qu’a représentée La Liste de Schindler… Le plus frappant, c’est la distance qu’il met entre lui et son oeuvre. Il dit ne pas passer son temps immergé dans ses anciennes partitions, à les réécouter sans cesse… mais préférer se projeter en avant. Le tout parsemé de mots français, dont il avait le souvenir. Bref, entrer dans ce bungalow m’a fait le même effet qu’entrer dans le bureau de Morricone : c’était un moment intense, drôle et émouvant, paradoxal, totalement hors du temps.


Quelle est la pépite dont vous êtes le plus fier dans ce coffret ?
Le CD 19 est consacré à des œuvres de concert dont le Prelude and fugue, composition de jeunesse méconnue, à laquelle Williams est très attaché. Tout comme à sa Sinfonietta for wind ensemble, dont on a exhumé la bande 1/4 de pouce des archives Deutsche Grammophon. À sa sortie, en 1970, Williams était chaviré de voir son nom dans le célèbre cartouche jaune de l’iconique label allemand… Ce dont je suis le plus fier, c’est peut-être d’avoir tenté de représenter tous les visages de son inspiration, tous les territoires du continent Williams. Il y avait objectivement un équilibre à trouver entre des partitions incontournables… et d’autres qui ne sont jamais incluses dans ce type d’anthologie. L’image d’un compositeur aux fanfares héroïques, aux marches tonitruantes, américaines jusqu’à la moelle, est évidemment un trompe-l’œil, ou un trompe-l ’oreille. Williams est bien plus divers et complexe que cela.
Face au coffret, comment John Williams a-t-il réagi ?
Il m’a envoyé un magnifique mot de remerciements. Il a été très sensible au côté panoramique, transversal du projet. Son contenu court sur soixante ans, de Checkmate, sa première série télé, au Concerto pour violon n° 2 avec la grande Anne-Sophie Mutter, enregistré en 2022. Ce coffret The Legend of John Williams, c’est la première anthologie de l’histoire du disque à réunir Barbra Streisand et The Chieftains, Ella Fitzgerald et Itzhak Perlman, Yo-Yo Ma et Sting. Ce simple constat confirme l’éclectisme de Williams, l’éventail de ses langages, son goût pour la musique au pluriel. À 93 ans, il achève actuellement l’écriture d’un concerto pour piano, destiné à Emanuel Ax. Ce point d’arrivée sera-t-il un nouveau point de départ ?
Crédits photos :
- John Williams BPhil © Monika Rittershaus
- The Sugarland Express – Recording session Toots Thielemans Spielberg Williams (1974).jpg
- 3D The Legend of John Williams
Ciné-concert – Concert événement
Star Wars : un nouvel espoir en concert
jeudi 5 juin 2025 – 20h00