Un parcours sans revers

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Un parcours sans revers

L’Orchestre national du Capitole invite pour la première fois Marie Jacquot, dont la carrière a d’abord connu un essor phénoménal en Europe avant d’éclore en France. Installée en Autriche, où elle officie en tant que premier chef invité de l’Orchestre symphonique de Vienne depuis 2023, elle dirige aussi l’orchestre de l’Opéra Royal du Danemark et prendra les rênes de l’Orchestre symphonique de la radio de Cologne en 2026. Un parcours de chef sans faute pour cette artiste toujours influencée par sa pratique passée du tennis à haut niveau.

Entretien avec Marie Jacquot

Comment êtes-vous devenue chef
d’orchestre ?

Mes parents nous ont encouragés, mon frère, ma soeur et moi, à pratiquer aussi bien la musique que le sport et, par mimétisme, j’ai choisi le tennis et le piano. Puis j’ai vu l’Orchestre de Cuivres de Paris, venu jouer à Lucé, et j’ai finalement opté pour le trombone.
Je pratiquais alors toujours le tennis à un haut niveau, mais la pratique du trombone au sein d’un orchestre d’harmonie m’a fait découvrir le plaisir de jouer ensemble, qui a pris le dessus sur l’idée de battre un adversaire. J’étudiais au Conservatoire de Lucé où j’ai commencé la direction d’orchestre auprès de Roberto Gatto, qui est devenu mon mentor, quand j’avais 14 ans. Après un parcours où j’ai suivi études de trombone et de direction d’orchestre en parallèle, j’ai voulu intégrer le Conservatoire
de Vienne. Les jeux français et autrichien sont trop différents au trombone, je n’ai donc pas réussi l’audition d’entrée. Mais deux semaines plus tard, je suis retournée à Vienne pour passer l’examen de direction d’orchestre et j’ai été reçue. C’est en fait cette audition qui a fait le choix de carrière pour moi !


Marie Jacquot © Christian Jungwirth

Quels ont été vos premiers coups de cœur dans le répertoire musical ?

La musique de films, et surtout John Williams. Quand j’ai commencé le trombone, ma marraine m’a offert un CD du Boston Pops Orchestra et du London BBC Orchestra. J’ai fait tourner ce disque en boucle, et j’ai longtemps rêvé de devenir tromboniste au sein du Boston Pops Orchestra ! En plus de ce CD, je garde en
mémoire le concert d’un ensemble de cuivres, le quatuor Epsilon, à Chartres, quand j’avais 14 ou 15 ans. Il a scellé mon choix de devenir musicienne professionnelle.

La Révélation Chef d’Orchestre que vous avez obtenue lors des Victoires de la musique classique de 2024 a-t-elle transformé votre carrière ?

À vrai dire, non. Certes, je comprends que j’aie pu être considérée comme une « Révélation » en France, mais ma carrière était déjà bien engagée à l’étranger, en Allemagne et en Autriche par exemple. Comme on entend souvent dire que nul n’est prophète en son pays, j’ai d’abord souhaité démarrer ma carrière à l’étranger pour me constituer un bagage solide. Puis j’ai accepté des engagements en France en commençant par des ensembles hors de Paris, comme les orchestres de Nancy et Strasbourg. Ma famille vient de l’Est et je ressens des affinités fortes avec ces villes. Cette Victoire m’a tout de même apporté une énorme visibilité en France !

Le concert que vous dirigez commence par un concerto, sans ouverture au préalable. Pour quelle raison ?

Les deux pièces au programme sont déjà imposantes par leur caractère et leur univers. Je n’apprécie pas vraiment les concerts trop longs. Une entrée me semblait de trop avant ce plat et ce dessert dont la richesse va suffire à rassasier le public

Le violoniste Bohdan Luts a remporté le concours Long-Thibaud avec le Concerto de Sibelius. Est-ce ce qui vous a orientée vers cette pièce ?

Avant tout, j’aime l’œuvre, et toute celle de Sibelius. Ce compositeur a toujours essayé de rester fidèle à lui-même et à son écriture musicale. Il a gardé son langage propre, sans se laisser déstabiliser par l’arrivée de la musique atonale. J’aime beaucoup les personnes qui arrivent à se dissocier des courants de mode. Et c’est un univers qui me plaît, on y discerne les paysages nordiques, la nature, la forêt, la neige, le froid, le ciel embrumé…Et évidemment, je suis ravie de découvrir ce nouveau jeune talent !

Marie Jacquot © Christian Jungwirth

Les paysages nordiques, c’est un peu chez vous !

Eh oui, puisque je me rends régulièrement au Théâtre Royal de Copenhague où je suis chef principal ! Le Danemark et ses habitants sont absolument charmants, capables d’une grande attention portée à l’autre, beaucoup de respect, de compréhension, d’écoute.

Venons-en à la Sinfonietta de Korngold. Compositeur reconnu de son vivant, il est aujourd’hui relativement oublié et peu joué.

Le public entend trop souvent les mêmes pièces et je milite pour diriger des œuvres méconnues – je précise : de bonnes oeuvres méconnues – qui devraient être jouées plus régulièrement. C’est le cas de plusieurs pièces de Korngold, parmi lesquelles la Sinfonietta. Celle-ci me fascine en particulier parce que Korngold n’avait que 15 ans quand il l’a composée. Or il montre déjà une certaine vision de la vie, que je trouve très sage pour un jeune homme : des indications musicales sur la partition signifient à peu près qu’il faut « ouvrir nos coeurs à la vie, avec beaucoup d’élan ». Si l’héritage des compositeurs du passé (Strauss, Mahler, Ravel, Debussy) y est perceptible, les nombreuses couleurs de la Sinfonietta laissent aussi deviner ce qui deviendra sa carrière après son exil aux États-Unis : la musique de film. Sans Korngold, pas de Hans Zimmer ni de John Williams !

Korngold en 1920

Vous dirigerez l’Orchestre national du Capitole pour la première fois avec ce concert, mais vous avez peut-être déjà un souvenir avec lui ?

Je suis une fan inconditionnelle de tout le travail discographique effectué sous la direction de Michel Plasson : Carmen, Faust, Roméo et Juliette, Samson et Dalila, et aussi Guercoeur, que je dirige cette saison à l’Opéra de Francfort. J’estime et apprécie vraiment la profondeur culturelle que l’Orchestre du Capitole a laissée au monde de la musique.

Convaincu que musique et sport ont beaucoup à apprendre l’un de l’autre, l’Orchestre national du Capitole a noué un partenariat avec le Stade Toulousain. Vous qui avez été une joueuse de tennis très prometteuse, qu’en pensez-vous ?

C’est un vaste sujet, que j’ai exploré dans un podcast en plusieurs épisodes (en allemand) avec Miriam Welte, championne olympique de cyclisme qui a aussi beaucoup pratiqué la musique. Même dans le cadre d’un sport individuel comme le tennis, on vit ensemble, on travaille ensemble, on représente une équipe… J’en ai retiré beaucoup sur la préparation mentale, avec l’acceptation de ses défauts, ainsi que sur la capacité d’action-réaction, nécessaire en tant que joueur comme en tant que chef d’orchestre. Le sport m’a énormément apporté, jusque dans ma vie actuelle, et je suis convaincue que cela peut être le cas pour chacun.

Marie Jacquot et Miriam Welte © Thomas von der Heiden

Propos recueillis par Mathilde Serraille

Grand concert symphonique

Marie Jacquot / Bohdan Luts

Jeudi 15 mai 2025 – 20h00