Maria, pleine de grâce

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Maria, pleine de grâce

Portrait de Maria, João Pires

Mélange de présence solaire et de tempérament un brin sauvage, Maria João Pires fait partie des artistes qui se consacrent pleinement à la musique, sans guère prêter d’intérêt à la communication. Cette grande dame s’est retirée de la scène à plusieurs reprises, avant de reprendre les concerts au moment où elle ressentait le besoin de retrouver le public. Cela ne donne que plus de prix à ses apparitions, et le public toulousain peut se sentir privilégié d’avoir la chance de l’applaudir les 7 et 8 décembre prochains, avec le Quatrième Concerto de Beethoven.

Elle n’est clairement pas une musicienne cherchant le buzz, et pourtant, Maria João Pires a fait le tour d’internet avec une vidéo stupéfiante. Alors que l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam se lance sous la baguette de Riccardo Chailly dans le cadre d’une répétition publique, la pianiste semble frappée par la foudre. Elle n’a pas travaillé le bon concerto. Le chef n’interrompt pas la musique pour autant, et l’encourage tout en continuant à diriger l’introduction orchestrale. L’instant de stupeur se transforme en moment de grâce lorsque Maria João Pires, de mémoire, entame sa partie quelques secondes plus tard, avec un mélange de fragilité et de force qui rend son solo encore plus poignant.

La pièce en question est le Concerto n° 20 en ré mineur de Mozart, œuvre que Maria João Pires connaît bien. Mozart fait partie de ses fidèles compagnons de route musicaux. Les deux enfants prodiges se sont trouvés à près de 200 ans de distance : la petite Portugaise fait sensation en donnant des récitals dès l’âge de quatre ans, et des concertos de l’immense Wolfgang alors qu’elle n’a pas dix ans. Après des études musicales complètes au Conservatoire de Lisbonne (piano, composition, théorie, histoire de la musique), elle part ensuite étudier en Allemagne.

Elle se voit propulsée sur la scène internationale en remportant le premier prix à la compétition du bicentenaire de Beethoven à Bruxelles, en 1970. Elle n’apprécie cependant pas vraiment la logique des compétitions :

« la personne qui passe un concours va désirer sa victoire, donc la défaite des autres. […] L’autre n’est pas un concurrent, c’est un ami. Pour moi, tous les pianistes du monde sont des amis. Nous sommes égaux et différents, nous pratiquons le même art et chacun a sa place. Nos différences sont aussi belles que ce que nous avons en commun. »

Maria João Pires

Maria João Pires préfère jouer un petit nombre de compositeurs qui la bouleversent intimement, au lieu de chercher à élargir sa palette à tout prix. Son toucher poétique fait merveille dans l’œuvre de Bach, Beethoven, Schumann… De Schubert, elle apprécie la « grande acceptation de la souffrance humaine qui le mène à une légèreté, une simplicité chantante et dansante ». Chopin ? « Un poète. C’est une musique très intérieure et très profonde. Je ne crois pas du tout que ce soit du show. » Elle a une (petite) dent contre Liszt, à qui elle reproche en riant d’avoir « inventé un truc épouvantable, qui est le récital pour piano ». Quant à Mozart, si elle l’apprécie aussi tout simplement car ses petites mains le lui rendent facilement accessible, elle en parle avec des mots qui laissent transparaître sa sagesse et sa sensibilité bouddhiste : « Mozart est dans l’impermanence, on sent qu’il ne s’attache à rien, et c’est cela, au fond, son génie. Tout peut arriver et tout peut changer à chaque seconde. Rien ne reste, rien n’est fixe. […] être lié à l’essentiel passe par l’acceptation de l’impermanence. »

Tout comme elle choisit soigneusement ses compositeurs, Maria João Pires élit les musiciens avec lesquels elle se produit, aussi bien les chefs sous la direction desquels elle donne des concertos que ses partenaires de musique de chambre. L’une de ses collaborations les plus fructueuses, avec le violoniste Augustin Dumay, a donné lieu à des enregistrements qui font référence.

Maria João Pires se préoccupe beaucoup de transmettre. Elle s’est donnée corps et âme pour le Centre Belgais, au Portugal, lieu utopique où de nombreux artistes ont pu venir boire à sa source musicale pendant quelques années. Elle a aussi créé Partitura (partage, en portugais) programme créant un échange entre les arts, mais aussi entre arts et sciences, débordant jusqu’à la protection de l’environnement, et comptant aussi un volet social pour des enfants en difficulté. Maria João Pires le dit, et agit elle-même en ce sens : « L’art, c’est la générosité. Être un artiste, c’est aimer donner et recevoir : la base de l’échange humain. »

Mathilde Serraille

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LE CONCERT

Tugan Sokhiev © Marco Borggreve

Le Testament d’Orphée

Grand concert symphonique

jeudi 7 et vendredi 8 décembre à 20h

L’Orchestre national du Capitole retrouve son ancien Directeur musical Tugan Sokhiev et la pianiste Maria João Pires pour deux chefs-d’œuvre romantiques : l’audacieux Concerto pour piano n°4 de Beethoven et l’ultime symphonie de Brahms, la Symphonie n°4.