L’odyssée pianistique

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L’odyssée pianistique

Les concertos pour piano de rachmaninov

La postérité des concertos de Rachmaninov tient presque autant à la mythologie entourant leur virtuosité démoniaque qu’à leur envoûtante expressivité romantique. Ces quatre œuvres composées à des périodes distinctes de la vie du compositeur nous font suivre son évolution artistique autant que sa biographie personnelle : une odyssée passionnante, et un corpus musical qui marque l’histoire de la musique. Si jouer un de ces concertos représente un marathon, en donner l’intégrale comme Mikhaïl Pletnev tient de l’Ironman !

Ses mains démesurées appelaient une carrière de virtuose. Associées à des capacités spectaculaires, elles font de Rachmaninov un pianiste hors du commun qui va pousser les limites de la difficulté technique dans des compositions écrites en premier lieu pour lui-même. Sa sensibilité exacerbée le fait parfois qualifier de « dernier grand romantique russe ». Certes, sa musique peut sembler tournée vers le passé, en ce temps où l’audace d’un Schoenberg défraie la chronique, mais Rachmaninov défend son caractère guidé par l’émotion avant tout, plutôt que par l’intellect pur. Tous ses concertos sont d’ailleurs écrits dans des tonalités mineures, plus volontiers dramatiques.

Quand il entame la composition de son premier concerto en 1889, Rachmaninov est encore étudiant au Conservatoire. Son numéro d’opus, 1, en fait la première pierre de son parcours de compositeur. Lors de la création, il a 18 ans, une technique pianistique déjà imparable et une grande confiance en lui. Peu lui importe que Vassili Safonov qui dirige la création du premier mouvement soit le directeur du Conservatoire de Moscou : il n’hésite pas à lui faire savoir ses insatisfactions pendant les répétitions. Rachmaninov remaniera cette œuvre en 1917, dans une version qui est celle la plus communément jouée aujourd’hui. Il gardera toujours une grande tendresse pour cette œuvre de jeunesse où l’influence des grands Russes comme Tchaïkovski se fait encore très nette.

L’échec de sa Symphonie n°1 en 1892 représente cependant une véritable douche froide pour le jeune homme de 24 ans. Rachmaninov s’écroule et abandonne la composition, victime d’une sévère dépression. Lorsqu’il s’en relève, la réussite est totale. Son Concerto n°2, créé à Moscou sous les doigts du compositeur, reste l’œuvre la plus célèbre du corpus. La partition réclame de la passion dès les premières mesures, où les violons et altos à l’unisson doivent répondre « con passione » à l’appel du piano. Le concerto tient son extrême popularité de l’émouvant dialogue des bois et du piano dans le deuxième mouvement, Adagio sostenuto.

Sergueï Rachmaninov au piano en 1915. Library of Congress, Washington. © DR

C’est de New York que Rachmaninov, alors installé en Europe, donne la première de son Concerto n°3 en 1909. De l’ensemble, il est le plus terrible pianistiquement parlant. Le flamboyant virtuose se prend d’ailleurs à son propre piège : les acclamations du public réclamant un bis restent sans effet après le premier concert. Rachmaninov montre ses doigts pour faire comprendre à l’assistance que si lui souhaiterait leur offrir un peu plus de musique, ses mains, elles, le lui refusent ! Sa tournée aux États-Unis l’amène à jouer ce concerto sous la direction d’un autre géant de la musique de la charnière des XIXe et XXe siècles : Gustav Mahler.

Après son installation en Amérique en 1917, Rachmaninov se consacre avant tout à une carrière de pianiste et de chef d’orchestre. Il s’arrête une nouvelle fois de composer sur une longue durée, tout simplement car ses engagements ne lui laissent pas le temps de se consacrer à cette activité. Il présente son Concerto n°4, plus influencé par la musique de son pays d’accueil, et notamment par Gershwin, en 1927. Les critiques rivalisent de formules assassines, amenant Rachmaninov à retoucher son œuvre à plusieurs reprises. Ce concerto reste malgré tout dans l’ombre de ses aînés jusqu’à ce jour. Le compositeur écrira encore une œuvre pour piano et orchestre, sans lui donner le nom de concerto : la célèbre Rhapsodie sur un thème de Paganini.

Si les concertos de Rachmaninov nous sont si familiers, c’est aussi parce que la culture populaire nous a mis à leur contact sous de nombreuses formes. Le chanteur Eric Carmen s’inspira fortement du Concerto n°2 pour commettre le gigantesque tube All By Myself. Les foyers français amateurs de littérature ont aussi été bercés par une trentaine de secondes du Concerto n° 1, tous les vendredis soirs, lors du célèbre générique d’Apostrophes.

Mathilde Serraille

Mikhaïl Pletnev

Le pianiste russe Mikhaïl Pletnev connaît d’abord la célébrité en remportant le premier prix du concours Tchaïkovski en 1978, puis acquiert une réputation en tant que chef d’orchestre et compositeur. Ses positions sont tranchées, et pas seulement artistiques : aujourd’hui installé en Suisse, il s’exprime avec virulence sur la politique de son pays natal. Aussi baptisa-t-il son orchestre le Rachmaninov International Orchestra, en hommage au musicien « qui aimait son pays », mais le quitta « en raison des forces politiques qui y régnaient ».


LE CONCERT

Dima Slobodeniouk / Mikhaïl Pletnev

Jeudi 7 & vendredi 8 novembre 2024

Musicien protéiforme, aussi compositeur et chef d’orchestre, le pianiste Mikhaïl Pletnev possède une technique époustouflante alliée à une personnalité artistique bien trempée. En deux soirées, il donnera quatre concertos de Rachmaninov, sous la direction de Dima Slobodeniouk