Wagner en plein cœur
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Tel Alberich s’emparant de l’or du Rhin pour en forger un anneau magique au début du Ring, le chef d’orchestre Joseph Swensen a ramassé en une soirée les plus belles pages de ces quatre opéras de Wagner, pour lesquels il éprouve une véritable passion. Avec un tel premier de cordée, voilà une chance inouïe de gravir un Everest musical génial, mais dont les dimensions imposantes peuvent rendre l’abord intimidant.
D’où vous est venue cette idée de version « condensée » du Ring ?
Pour commencer par une confession, dans l’opéra, plus que l’aspect scénique, c’est la musique en elle-même qui m’intéresse. Bien sûr, le répertoire lyrique est un genre fascinant et inspirant, et je le sais d’autant mieux que j’ai été le directeur musical d’un opéra pendant plusieurs années, mais en commençant par la pratique du violon, j’ai construit ma personnalité musicale avec la musique pure. Grâce à cet arrangement, je transfère l’opéra de Wagner du théâtre à la salle de concert. Parmi les 15 ou 16 heures que durent les quatre opéras, ces 2 heures 30 représentent ma musique préférée, et pas seulement dans le Ring – dans tout ce qu’a jamais composé Wagner, que j’adore ! Bien que je m’y sois lancé avant tout pour moi-même, cette Odyssée du Ring présente aussi un intérêt certain pour le public et les musiciens, car elle donne une meilleure perspective, et permet donc de mieux apprécier l’œuvre monumentale dans son ensemble. Un peu comme dans un musée, où il faut parfois faire un petit pas en arrière pour mieux saisir un tableau gigantesque. J’imagine peu de personnes capables de voir tout le Ring d’une traite ! Je ne suis même pas sûr que tous les musiciens professionnels assistent à un Ring complet dans leur vie. Enfin, grâce à cette version, je peux décider de diriger le Ring une fois par an si je le souhaite : quel chef peut en dire autant ?
Comment êtes-vous parvenu à condenser cette histoire épique avec deux voix seulement ?
L’histoire s’appuie sur deux couples, chacun formé par une soprano et un ténor : Sieglinde et Siegmund, puis Brünnhilde et Siegfried. Le reste gravite autour. Dans mon Odyssée du Ring, les chanteurs commencent en tant que couple central de L’Or du Rhin et La Walkyrie, et reviennent en deuxième partie en incarnant les amants dans Siegfried et Le Crépuscule des dieux. La place de l’entracte permet ce changement de peau… tout en accordant une pause bienvenue aux chanteurs, qui doivent beaucoup donner vocalement. J’aurais aussi pu choisir de garder plus de personnages, bien sûr, mais cela marche très bien ainsi. Il se trouve que ces deux couples se livrent chacun à un duo d’amour absolument merveilleux durant plus d’une vingtaine de minutes. J’ai choisi de placer ces deux duos de part et d’autre de l’entracte, afin de donner la sensation d’une structure solidement ancrée sur ces deux chanteurs. Ils atteignent un climax particulièrement intense. C’est l’amour romantique à l’état pur, auquel je suis particulièrement sensible, comme bien d’autres. Jamais personne n’a réussi à l’exprimer aussi bien que Wagner, de façon puissante, réaliste, et en même temps transcendante.
Le Ring a occupé Wagner pendant une trentaine d’années ; c’est vraiment l’œuvre de toute une vie. Quelle place cet arrangement tient-il dans la vôtre ?
L’œuvre d’une vie, non, mais celle d’une pandémie, assurément ! Pendant la crise du Covid, Wagner est devenu un élément absolument central de mon existence, et il m’a aidé à survivre. Au milieu de toute cette tragédie, avec ces morts innombrables, l’angoisse de tomber malade et les annulations de concerts à la chaîne, l’imagination fertile de Wagner m’a offert un refuge, en me montrant un monde infiniment plus grand que celui dans lequel nous vivions. Il n’est pas trop fort d’affirmer qu’il m’a sauvé, en me donnant cette possibilité de vivre dans une espèce d’univers parallèle.
Cette Odyssée du Ring est donc toute récente. Le public toulousain en aura-t-il la primeur mondiale ?
Oui, et je ne pouvais rêver mieux que l’Orchestre du Capitole pour une telle création ! Cet orchestre et moi avons vraiment une relation unique. Ma première invitation à venir le diriger date d’il y a plus de vingt ans. Cela veut dire beaucoup pour moi, car c’était le moment où je me décidais à laisser le violon de côté pour devenir chef d’orchestre, comme j’en rêvais quand j’étais petit garçon. Nous avons commencé avec la Symphonie n° 3 de Mahler. Une symphonie fleuve d’1h30, sublime… un peu le même esprit que cette Odyssée du Ring ! Nous avons ensuite joué quasiment toutes les symphonies de Mahler et de Bruckner ensemble. Wagner manquait encore à notre répertoire commun : voilà un manque désormais comblé.
Propos recueillis par Mathilde Serraille
L’Odyssée du Ring
Grand concert symphonique
Vendredi 5 mai à 20h
Le chef américain Joseph Swensen a relevé un défi peu commun : faire de la célèbre Tétralogie de Wagner une Odyssée symphonique, avec trois voix solistes seulement. L’Odyssée du Ring : une formidable expérience et une somptueuse introduction à Wagner !