Berlioz Trip Orchestra : tempête sous un crâne
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Entretien avec Géraldine Aliberti-Ivañez
La Symphonie fantastique est-elle géniale, comme son titre semble l’indiquer ? Certes, mais l’adjectif renvoie ici à l’univers du surnaturel et de l’étrange, à ses fantasmagories et à ses fantômes. Avec ce spectacle, l’autrice et metteuse en scène Géraldine Aliberti-Ivañez nous invite dans la tête du tempétueux Berlioz au moment où il donne naissance à cette créature symphonique débridée, inspirée par un amour obsessionnel. Une heure dans un univers totalement fou.
Le Berlioz Trip Orchestra fait partie de nombreux spectacles réalisés avec votre compagnie VIVANT!e. Quelle est votre démarche artistique ?
Mon optique est de reconnecter la musique de patrimoine avec notre actualité, notre vivant. Les metteurs en scène de théâtre et d’opéra le font déjà très bien en regardant les oeuvres de notre patrimoine avec un oeil d’aujourd’hui. Par exemple, il serait très malvenu aujourd’hui de proposer l’opéra Carmen sans évoquer la mort de l’héroïne comme un féminicide, et non plus comme un crime passionnel. Dans le répertoire symphonique, il reste du chemin à faire. En général, on va à la rencontre d’un interprète, avec une oeuvre qui bougera peu. De mon côté, j’essaie de mettre surtout en avant une oeuvre et son créateur, et la faire entrer en résonance avec notre vivant.
Qu’est-ce qui vous a attirée vers la Symphonie fantastique ?
Plusieurs facteurs très puissants amènent Berlioz à composer cette symphonie : tout d’abord, il tombe amoureux de l’actrice Harriet Smithson, et vraiment amoureux fou : il lui a tout de même écrit quarante lettres, restées sans réponse… D’autre part, il découvre Le Dernier Jour d’un condamné de Victor Hugo. La peine de mort choquait déjà Berlioz en raison d’une histoire vécue dans son enfance : un homme avait été condamné après un différend avec sa famille. Dans l’ouvrage d’Hugo, paru anonymement en 1827, l’idée fixe symbolise l’obsession de la mort qui hante le condamné. La Fantastique allie ainsi amour fou, peine capitale avec la Marche au supplice, et idée fixe, puisque Berlioz réemploie le terme d’Hugo, pour représenter l’amour fou qui le hante. Parmi les inspirations de Berlioz, Bruno Messina évoque aussi les mythologies populaires du Dauphiné et de la Savoie, avec par exemple la Dame blanche et les rérodes, qui vont peupler le Songe d’une nuit de sabbat. Ce mouvement a également été inspiré par le poème La Ronde du sabbat de Victor Hugo.
À quelle expérience le spectateur doit-il s’attendre ?
Il s’agit d’une pièce de théâtre avec orchestre. Nous passons une nuit avec Berlioz : il a 24 ans, il commence la composition de la Symphonie fantastique. Petit à petit, son œuvre va lui échapper, et s’imposer à lui, malgré lui. Un peu comme dans Frankenstein, Berlioz se laisse complètement dépasser par sa propre création. Sa musique devient une créature qui le hante, surtout dans les deux derniers mouvements, la Marche au supplice et le Songe d’une nuit de sabbat. Régis Royer, comédien incroyable, incarne un Berlioz perdant pied, en proie à des hallucinations sonores et visuelles. On sent sa fièvre qui monte ! L’orchestre est son imagination, et le chef sa conscience, faisant le pont entre ce qu’il entend et ce qu’il écrit. C’est un spectacle dont on ressort secoué, pris d’une immense énergie !
Tout est-il « vrai » dans ce spectacle, ou certains éléments sont-ils aussi le fruit de votre imagination ?
Au tout début, nous imaginons Berlioz interrompre la première de la Fantastique car Harriet Smithson n’est pas venue. Il n’a pas arrêté le concert, en réalité ! Mais cela crée une belle accroche, tout en nous permettant d’évoquer immédiatement l’amour fou et destructeur de Berlioz. Je me suis appuyée d’abord sur les Mémoires (écrites longtemps après les faits) et le Traité d’orchestration d’Hector Berlioz, puis sur les ouvrages de Bruno Messina et Claude Abromont.
Qu’est-ce qui « déborde » dans cette Fantastique ?
Absolument tout, comme tout était démesuré chez Berlioz. Au début du spectacle, au lieu d’un orchestre symphonique, Berlioz appelle « 30 pianos ! 30 harpes ! », ce dont nous nous amusons puisqu’il n’y a bien sûr pas autant de musiciens sur scène. J’ai tiré ces effectifs de son célèbre Traité d’orchestration, où il rêvait d’un orchestre de 467 musiciens. Berlioz cherchait vraiment l’inouï, au sens premier du mot. C’est d’ailleurs lui qui a eu l’idée de faire jouer les cordes avec le bois de l’archet, idée reprise par tant d’autres compositeurs ensuite.
Passions, musique et psychotropes : Berlioz est quand même très rock’n’roll ! À quel personnage ressemblerait-il aujourd’hui ?
Complètement ! Sa musique l’est, et sa personnalité aussi. Si je devais le comparer à une personnalité artistique de notre époque, je choisirais Nick Cave, et pas seulement pour leur fine silhouette ! Nick Cave est un showman, un grand musicien pop et rock extrêmement curieux, qui n’hésite pas à aller chercher des sons ailleurs. Il partage également avec Berlioz un goût profond pour l’orchestration et les couleurs. Je lui trouve ce même côté absolument démesuré.
Vous avez pu vous consacrer à l’écriture du spectacle lors d’une résidence à la Villa Médicis. Avez-vous senti des vibrations
particulières dans ce lieu où a séjourné Berlioz ?
Absolument ! Je n’ai pas réussi à dormir, notamment à cause d’un volet qui claquait sans cesse alors qu’il semblait scellé. La petite maison qui était la mienne était adossée à un bois. Lors de ma dernière soirée sur place, des résidents m’ont appris que personne n’arrivait à dormir dans cette maison. Puis j’ai découvert qu’on racontait que le fantôme de la maîtresse d’un comte étranglée non loin de là errait dans le bois, le Bosco… Une figure proche de la Dame blanche, et d’Harriet Smithson rôdant dans le sabbat de Berlioz !
Propos recueillis par Mathilde Serraille
LE CONCERT
Berlioz Trip Orchestra
Concert fantaisie
samedi 18 janvier à 18h