Entretien avec Josep Pons
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Le 13 avril, le chef Josep Pons pose ses bagages à Toulouse avec trois pièces du début du XXe siècle, son répertoire de prédilection. L’occasion d’entendre Shéhérazade, joyau de Ravel, enchâssé entre une œuvre particulièrement rare de Schreker et une suite symphonique montrant l’opéra Elektra de Strauss sous un nouveau jour. Il nous parle de ce programme débordant de passion et de sensualité.
Josep Pons et l’Orchestre du Capitole
Vous êtes un fidèle de l’Orchestre national du Capitole, que vous dirigez régulièrement depuis 2009. Avez-vous senti une évolution ?
Lorsque j’ai été invité pour la première fois, cet orchestre était déjà excellent, grâce au travail accompli par Michel Plasson. Avec Tugan Sokhiev, il a trouvé encore plus de grandeur, en assimilant de nouveaux répertoires. Il prouvait qu’un orchestre de région pouvait tout à fait concurrencer les ensembles parisiens. L’Orchestre a aussi beaucoup gagné grâce à ses nouvelles recrues. Son attractivité lui fait gagner encore en qualité, puisque des musiciens du monde entier veulent maintenant l’intégrer, ce qui hausse naturellement le niveau. Je résumerais ainsi les trois raisons qui rendent cet orchestre cher à mon cœur : il joue, cela va sans dire, très bien ; ses musiciens donnent tout pour la musique, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas seulement pleinement investis lors du concert, mais aussi lors des répétitions ; et enfin, contrairement à d’autres ensembles de qualité où des conflits sont larvés, j’y sens toujours une véritable joie. Sa santé est donc éclatante !
Le programme allie l’ouverture de l’opéra Les Stigmatisés à une suite d’Elektra : avez-vous cherché à unir les répertoires symphonique et lyrique, avec l’Orchestre du Capitole qui est coutumier des deux ?
En réalité, opéra et musique symphonique ne doivent pas être scindés. À très peu d’exceptions près, tous les compositeurs ont écrit pour l’un comme pour l’autre, et les meilleurs orchestres travaillent les deux. Même le Philharmonique de Berlin joue des opéras ! Mon idée était plutôt d’offrir une sorte de photographie du début du XXe siècle, avec des compositeurs qui avaient du succès sur les plaques tournantes artistiques que représentaient Vienne, avec Schreker et Strauss, et Paris, avec Ravel.
Franz Schreker, un compositeur à redécouvrir
Vous nous parlez de compositeurs à succès… Pourtant, le concert commence avec une ouverture de Franz Schreker, dont le nom est peu connu du grand public.
En effet, ce compositeur est aujourd’hui oublié. Mais figurez-vous qu’en son temps, il avait encore plus de succès que Richard Strauss ! Du fait de sa confession juive, ses compositions ont été considérées comme « dégénérées » – c’était le mot employé à l’époque –, et interdites. Sa musique mérite vraiment d’être redécouverte, et il est important de le jouer aujourd’hui. J’ai déjà dirigé sa Symphonie de chambre, quelques ouvertures, mais pas ses opéras. Ceux-ci sont encore trop peu programmés, peut-être car ils demandent des moyens énormes. Bien que tous les deux largement influencés par Wagner, Schreker et Strauss empruntent des chemins musicaux différents. Schreker reste dans un langage très romantique, tandis que Strauss ouvre une porte vers une nouvelle musique. Cependant, après le pas en avant très audacieux que représente Elektra, Strauss va revenir vers le classicisme avec son opéra suivant, Le Chevalier à la rose. Dans le mythe grec, Électre veut tuer sa mère pour venger son père. Cette histoire de lutte de pouvoir et de vengeance reste terriblement actuelle, et la musique de Strauss est absolument magnifique.
Shéhérazade date de la même époque. Ravel, âgé d’une trentaine d’années quand il a composé cette pièce, a confié plus tard que certaines parties le faisaient un peu rougir… Je pense deviner lesquelles, on est parfois dans une atmosphère de restaurant oriental, si je puis dire : écoutez la musique quand le poème nous parle des « mandarins sous les ombrelles » et des « princesses aux mains fines » ! Mais il a aussi reconnu y avoir atteint une sensualité absolue, qu’il ne retrouvera plus jamais. Cette pièce s’inscrit dans la fascination qu’éprouvait Paris pour les paradis imaginaires. Voyager, rêver… mais assis chez soi. C’est ainsi que les Parisiens découvraient les îles avec Gauguin, ou le gamelan à l’Exposition universelle. Les vers de Shéhérazade décrivent d’ailleurs la conteuse elle-même rêvant au chaud dans son salon, sa « vieille tasse arabe » à la main.
Marianne Crebassa donnera chair et voix à notre Shéhérazade : avez-vous déjà travaillé ensemble ?
Non, ce concert marque notre toute première collaboration ! Nous avions déjà prévu de donner Shéhérazade ensemble il y a quelques années, mais j’avais hélas dû renoncer, étant souffrant. Je suis ravi de pouvoir enfin lui donner ce rendez-vous musical. Nous connaissons tous les deux très bien cette œuvre : je l’ai beaucoup dirigée, elle l’a beaucoup chantée… donc je pense que nous devrions bien nous amuser !
Portrait de Marianne Crebassa
La mezzo-soprano Marianne Crebassa a emmené l’Orchestre national du Capitole de Toulouse en terres espagnoles avec l’album Séguedilles, enregistré sous la direction de Ben Glassberg. Avec Shéhérazade de Ravel, tableau musical d’un Orient fascinant où sensualité et mort se frôlent, c’est vers l’atmosphère enivrante des Mille et une nuits qu’elle s’apprête cette fois-ci à entraîner les musiciens et le public toulousains.
Après des études de musicologie, de piano et de chant à Montpellier, Marianne Crebassa parfait sa formation vocale à l’Atelier Lyrique de l’Opéra national de Paris. Très vite, les scènes internationales les plus prestigieuses (Chicago, Milan, Salzbourg, Vienne…) se l’arrachent. En 2017, elle est sacrée Artiste lyrique de l’année aux Victoires de la musique classique. Malgré cette carrière éclatante, Marianne Crebassa cultive la prudence, et choisit ses rôles avec soin, sans précipitation. On la supplie d’incarner Carmen sur scène ? Ce sera « quand sa voix le décidera ».
Sa voix riche et chaude sied magnifiquement aux héroïnes sensuelles, mais elle élit un tout autre registre pour son premier album facétieusement intitulé Oh, Boy ! : les personnages travestis du répertoire lyrique, le plus célèbre étant Chérubin des Noces de Figaro.
Ces deux facettes serviront parfaitement Shéhérazade, dont elle a déjà prouvé, en concert mais aussi au disque avec Fazil Say au piano, qu’elle en connaît tous les secrets. Son timbre et sa présence magnétiques serviront magnifiquement l’appel à l’évasion qui ouvre l’œuvre (Asie), nous plongeant avec exaltation dans les raffinements et les violences de l’Orient, comme le vibrant chant d’amour d’une courtisane alanguie (La Flûte enchantée). Enfin, elle apportera assurément une touche particulière au mouvement final intitulé L’Indifférent, où un étranger aux yeux « doux comme ceux d’une fille » éconduit la narratrice troublée par son androgynie.
Mathilde Serraille
Crebassa l’enchanteresse
Grand concert symphonique
Jeudi 13 avril à 20h
L’une réclame vengeance pour l’assassinat de son père, l’autre guérit l’âme d’un sultan cruel par son art du récit… Elektra et Shéhérazade dialoguent sous la baguette de Josep Pons. La solaire Marianne Crebassa incarne Shéhérazade. Son chant incomparable donne vie à la conteuse subtile des Mille et une nuits.