Stravinski originel

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Stravinski originel

Entretien avec Dima Slobodeniouk

Le chef d’orchestre Dima Slobodeniouk fera ses débuts à Toulouse avec deux compositeurs russes de l’Étranger. Né en Russie, formé en Finlande, ce musicien à la croisée de plusieurs traditions plonge au cœur d’un répertoire qui résonne avec son propre parcours.

Étude pour le portrait d’Igor Stravinski
Jacques Émile Blanche, Étude pour le portrait d’Igor Stravinski, 1913. Musée des Beaux-Arts de Rouen. © RMN-Grand Palais.

Vous ferez vos débuts au Capitole avec deux figures de l’exil russe, Stravinski et Rachmaninov. Quel regard portez-vous sur leurs œuvres, voyez-vous des points communs entre leurs destinées ou, au contraire, deux trajectoires radicalement distinctes ?

Ces deux musiciens – Stravinski et Rachmaninov – ont en effet des trajectoires très différentes. Peut-être, pour souligner ce qui les rapproche, pourrait-on rappeler qu’il existe une vieille tradition de récits légendaires en Russie. Dans les temps anciens, on chantait en s’accompagnant d’un « Gusli » – un instrument qui rappelle la lyre et qui se rapproche d’une petite harpe. Dans les cultures scandinaves, on l’appelle le « Kantele ». Cette puissante tradition des légendes s’améliorait à chaque génération, chacune ajoutant plus de couleurs à une histoire déjà existante. Je pense que c’est exactement ce qui unit les deux compositeurs, leur capacité à construire des récits musicaux à partir de traditions existantes. Même si Stravinski a poussé le développement du langage musical plus loin et de manière plus radicale que Rachmaninov.

Vous dirigez L’Oiseau de feu dans une version singulière, la version originale du ballet – alors que le grand public connaît davantage les suites. Pouvez-vous nous parler de l’œuvre, de ce qu’elle représente dans la carrière de Stravinski ?

Eh bien, pour moi, le seul choix naturel est le ballet original. Je ne trouve rien de spécial à choisir cette version – au contraire. Les suites, plus courtes, incarnent à mes yeux quelque chose d’artificiel tant elles sont des « pots-pourris » de la pièce de départ, imaginées pour faciliter la programmation de L’Oiseau de feu dans les concerts symphoniques. Dans le cas de ce ballet, il me semble préférable de lire le synopsis avant d’écouter le concert ou mieux encore, de regarder le ballet ! Il y a beaucoup d’éléments dramatiques dans cette musique. Ce qui se passe dans l’orchestre a absolument tout à voir avec ce qui se passe sur scène. L’Oiseau de feu a été la première véritable prise de parole de Stravinski en tant que compositeur de ballet.

Pour vous, existe-t-il des « gestes » emblématiques de l’écriture de Stravinski, que l’on retrouvera dans ses œuvres suivantes, et que l’on peut déjà discerner dans L’Oiseau de feu ?

Son langage musical particulièrement manifeste dans les ballets suivants est déjà perceptible dans L’Oiseau de feu. Sans vouloir trop m’éloigner du sujet, il me semble qu’il doit beaucoup à son professeur Nikolaï Rimski-Korsakov. Mais cet héritage est un point de départ seulement. Le plus fascinant, c’est son incroyable curiosité pour de nouvelles façons de combiner les tonalités et les différents motifs rythmiques. C’est le socle sur lequel sa musique est construite. L’une des techniques les plus importantes qu’il utilise est la bitonalité. Il prend deux accords de base (combinaisons de majeur et/ ou de mineur) et les met l’un sur l’autre en créant deux couches ou plus.

Contrairement à Stravinski, érigé très tôt en maître absolu de la modernité musicale, Rachmaninov souffrait d’une réputation plutôt passéiste – malgré (ou à cause ?) de son succès auprès du grand public. Comment voyez-vous cette image du musicien ?

Je préfère regarder les partitions de Rachmaninov d’un point de vue plus moderniste. Je recherche les détails qui renouvellent la musique et qui ne soulignent pas son ancrage dans la tradition. Pour moi, la raison qui explique son immense succès – l’aspect romantique de sa musique – n’est pas la plus intéressante. Dans mes interprétations, je recherche l’architecture et les arcs dramatiques.

Ivan Tsarevitch capturant l’Oiseau de feu
Ivan Bilibine, Ivan Tsarevitch capturant l’Oiseau de feu, 1899. © DR

Vous entendre dans ce magnifique programme russe est plein de promesses car vous êtes vous-même à la croisée d’écoles légendaires de direction d’orchestre, entre votre Russie natale, terre de musiciens d’exception, et la Finlande d’où sont sortis de grands musiciens. Vous sentez-vous connecté, et comment, à ces traditions ? Comment ont-elles déterminé votre chemin ?

J’ai la chance d’être un mélange de différentes cultures. Ayant passé mes seize premières années en Russie, j’ai bien sûr appris et hérité de sa culture et de sa mentalité. Et j’en suis très reconnaissant envers ma famille et mes professeurs. Cependant, les trente années suivantes ont eu un impact au moins aussi important que les seize précédentes ! J’étais assez jeune pour pouvoir m’adapter à un environnement culturel très différent. De mes études comme violoniste jusqu’au moment où j’ai obtenu mon diplôme de la classe de direction de l’Académie Sibelius, j’ai accumulé une compréhension profonde de l’orchestre. Cela dit, je dois admettre que l’esthétique musicale évolue constamment et, précisément pour cette raison, je n’aime pas mettre mon héritage dans un cadre et l’accrocher au mur, si vous voyez ce que je veux dire…

Propos recueillis par Charlotte Ginot-Slacik pour le Vivace n°14

Découvrez le Vivace n°14 en intégralité


Nos musiciens vous présentent les œuvres de la saison !

Estelle Richard, basson solo à l’Orchestre du Capitole, nous fait entendre L’Oiseau de feu, œuvre de Stravinski programmée le 15 décembre prochain sous la direction de Dima Slobodeniouk.