Une artiste de hauts volts

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Une artiste de hauts volts

Entretien avec Elim Chan

Elim Chan parle de la musique avec la même vivacité et la même spontanéité qu’elle dégage sur le podium. Avec leur énergie, le Concerto en fa de Gershwin et la Symphonie n°5 de Prokofiev semblent taillés pour cette musicienne pleine de fougue, dont la carrière a connu un essor remarquable en quelques années seulement. Sa rencontre avec le pianiste Jean-Yves Thibaudet, grand spécialiste de Gershwin, promet un cocktail savoureux autant qu’explosif !

Vous avez déjà été invitée une fois par l’Orchestre national du Capitole, en 2021. Quel souvenir gardez-vous de cette rencontre ?

Nous étions encore dans l’excitation particulière de la période post-Covid. Chaque concert ressemblait à une libération, et hors de la salle, tout le monde profitait du plaisir retrouvé de boire un verre en terrasse. Je découvrais Toulouse avec comme guide Bertrand Chamayou, soliste sur cette série et enfant du pays, qui m’emmenait dans une foule d’endroits fabuleux. Et puis, l’Orchestre m’a estomaquée. Nous travaillions le Concerto pour orchestre de Bartók, qui pousse chaque pupitre dans ses retranchements, et qui donne donc très vite une idée du niveau de l’ensemble face à vous. Eh bien croyez-moi, cet orchestre en a sous le capot ! En plus du travail rigoureux en répétition, j’ai aussi trouvé une vraie spontanéité au moment du concert. Vous savez, l’inspiration du moment : « Tiens, si je faisais plutôt ça comme ça ? », et ils me suivaient. Bref, je suis particulièrement heureuse de revenir !

Comment avez-vous eu l’idée de programmer le Concerto en fa de Gershwin, encore jamais donné par l’Orchestre du Capitole ?

Au départ, nous voulions à tout prix trouver un concerto pour piano français. Et puis, un jour, Jean-Baptiste Fra m’a annoncé que Jean-Yves Thibaudet était disponible. Plus besoin de concerto français : Thibaudet et Gershwin, c’est le jackpot ! Tout dans l’attitude de Thibaudet est en accord avec ce Concerto, sa façon de bouger, de s’habiller… et en tant qu’interprète, il a vraiment ce sens de la quête un peu nostalgique du son de l’Amérique de ce temps-là, teinté de jazz. Il y parvient sans en faire des tonnes, avec à la fois l’élégance et tout le punch dont cette musique a besoin. Gershwin a un réel talent pour saisir une atmosphère en musique. Et évidemment, il a cette énergie, cette classe dans l’écriture pour les cuivres. Je me souviens d’un excellent pupitre de cuivres au Capitole ; il faut qu’ils soient solides dans ce concerto qui propose notamment un très beau solo de trompette dans le deuxième mouvement.

Vous avez enregistré le ballet Roméo et Juliette de Prokofiev, et vous vous apprêtez à diriger sa Cinquième Symphonie à Toulouse : avez-vous une affinité particulière avec ce compositeur ?

De manière générale, la musique et la littérature russes me touchent particulièrement. Et en effet, Prokofiev a vraiment quelque chose de spécial pour moi. Il mêle les couleurs de l’orchestre à la perfection, et j’adore sa façon de maintenir une pulsation vibrante sous des mélodies absolument somptueuses. Sans vouloir entrer dans un discours trop politique sur sa Symphonie n°5, on ne peut pas omettre le fait qu’elle a été composée et créée en pleine guerre. Aujourd’hui, nous assistons à des guerres qui éclatent autour de nous tout en étant confrontés au changement climatique. Cette Symphonie n°5, avec laquelle Prokofiev voulait rendre hommage à l’esprit humain, nous permet de revenir à qui nous sommes, en tant qu’êtres humains : il y a une force, une quête de l’harmonie, qui sont plus grandes que nous. Elle renferme toutes les facettes des émotions : des joies, des peines, avec cette pointe de sarcasme que j’aime tant chez Prokofiev. Cela compte pour moi de jouer cette œuvre avec un orchestre qui connaît si bien la musique russe grâce à son travail avec Tugan Sokhiev.

Votre carrière a connu une ascension fulgurante. Vivez-vous cela sereinement ?

Le succès amène aussi la pression. Il faut apprendre à dire non. C’est d’ailleurs, peut-être, l’apprentissage de toute une vie, même si c’est un peu tarte à la crème de le dire ainsi. Jusqu’où puis-je me donner ? Qu’est-ce qui me rend vraiment heureuse ? Se préserver de la sorte permet aussi de protéger sa passion pour la musique, et donc de toujours donner le meilleur de soi-même.

Propos recueillis par Mathilde Serraille

LE CONCERT

Elim Chan / Jean-Yves Thibaudet

Grand concert symphonique

Vendredi 6 décembre à 20h