Une passion française

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Une passion française

Formé au Japon, son pays natal, Kazuki Yamada remporte le Concours de direction d’orchestre de Besançon en 2009. Trois ans plus tard, il prend place au pupitre face à l’Orchestre du Capitole pour la première fois. C’est le début d’une véritable histoire d’amour qui se poursuit fidèlement depuis. Particulièrement sensible à la musique française, qu’il a beaucoup dirigée à Toulouse, il a choisi d’associer Poulenc et Debussy au Japonais Miyoshi lors du concert qu’il dirigera le 7 avril 2023.

Entretien avec Kazuki Yamada

Avec ce programme mettant à l’affiche des pièces de Poulenc et Debussy, vous poursuivez votre exploration du répertoire français avec l’Orchestre du Capitole.

J’éprouve un véritable amour pour la musique française, qui a une richesse invraisemblable de couleurs, je dirais même de températures et d’odeurs. La diriger me procure toujours un immense bonheur, et encore plus avec des orchestres français. Vous imaginez donc ma joie de revenir avec un tel programme à Toulouse. Si tous mes concerts avec l’Orchestre du Capitole m’ont laissé des souvenirs impérissables, je me souviens en particulier de notre première rencontre, avec la Symphonie fantastique de Berlioz : une alchimie immédiate dès la première répétition, et un concert fabuleux ! Il n’y a pas que la musique française qui me touche ; la culture française en général me plaît particulièrement. Qu’on partage un excellent repas, qu’on assiste à un match de football, ou bien sûr qu’on se rende à un concert, tout en France me semble guidé par la quête d’une certaine extase. Une telle philosophie donne du sens à la vie !

Vous avez choisi le Concerto pour orchestre d’Akira Miyoshi pour ouvrir ce concert. Pouvez-vous nous présenter ce compositeur, peu connu en France ?

Du fait que les orchestres du monde entier jouent Toru Takemitsu, on a tendance à oublier les autres compositeurs qui font la richesse de la culture musicale japonaise. Il me tient à cœur de les défendre. J’ai eu la chance de rencontrer Akira Miyoshi, dont j’ai dirigé bon nombre d’oeuvres, avant son décès en 2013. Il a passé du temps en France, et cela transparaît dans son style, influencé par celui de Dutilleux. Son Concerto pour orchestre appartient à cette veine. C’est une pièce très intéressante, dans un style contemporain, qui s’accorde bien avec le reste du programme.

Il n’est pas si fréquent d’entendre le Concert champêtre de Poulenc en concert ! L’avez-vous déjà dirigé ?

Non, c’est une première pour moi, autant vous dire un grand défi ! Et ce sera aussi ma toute première collaboration avec le claveciniste Jean Rondeau, ce que j’attends avec impatience. J’aime beaucoup cette pièce, qui a des influences anciennes, mais qui reste avant tout du Poulenc. Il faudra trouver un équilibre avec le clavecin, ce qui imposera de jouer parfois très, très piano ; je fais confiance à l’Orchestre, qui a la souplesse et le sens de la nuance nécessaires.

Jean Rondeau © Clément Vayssières

Un claveciniste qui sort du bois

Comment associer les termes « rock star » et « clavecin » ? On peut penser à la pop, qui a remis un temps en lumière cet instrument à cordes pincées avec des succès comme Golden Brown des Stranglers, ou Rain and Tears d’Aphrodite’s Child… Mais aussi à Jean Rondeau, claveciniste phénomène qui donne à son instrument une nouvelle jeunesse depuis son irruption sur la scène musicale.

Bien qu’il ne soit pas possible de définir une recette vous permettant à coup sûr de devenir un musicien adulé du grand public, mieux vaut a priori choisir le piano ou le violon que le basson ou le clavecin ! Contre toute attente, un jeune claveciniste réussit à faire exception : Jean Rondeau. Élève de Blandine Verlet, il tâte aussi du piano et de l’orgue, et ne se cantonne pas à une formation instrumentale pure. Le large éventail de sa formation montre sa curiosité et sa polyvalence : direction de choeur, improvisation, harmonie, contrepoint, fugue…

En 2012, il remporte le premier prix du Festival de Musique ancienne de Bruges, devenant l’un de ses plus jeunes lauréats, et enregistre bientôt un premier disque consacré à Bach. « Jouer Bach, c’est s’attaquer au patron », écrit-il, et lui-même en devient un dès lors, recevant une pluie de critiques dithyrambiques continuant à s’abattre sur chacun de ses disques. Son horizon s’étend bien au-delà du baroque, inévitablement associé à son instrument de prédilection : il s’investit dans la création contemporaine, appartient à un ensemble de jazz, et a même composé une musique de film. C’est une pièce de 1928 qu’il viendra jouer à Toulouse : le Concert champêtre de Poulenc. Né de la rencontre fructueuse entre le compositeur et Wanda Landowska, pionnière de la redécouverte de l’instrument, ce concerto s’inspire des compositeurs français des XVIIe et XVIIIe siècles, et s’attache à faire briller toutes les facettes sonores de l’instrument.

Avec La Mer et Jeux de Debussy, vous associez l’une de ses œuvres les plus données, et une autre un peu plus confidentielle. Est-ce un choix délibéré ?

Elles représentent deux pans très différents de sa musique, et il est intéressant de les mettre en perspective. Mais évidemment, toutes deux respirent le style de Debussy et on y retrouve son talent pour la peinture en musique. La Mer est l’une de ses œuvres les plus populaires, et pas seulement en France. J’ai donc eu l’occasion de la diriger maintes fois, mais avec l’Orchestre du Capitole, cela promet une certaine fraîcheur. Nous allons trouver notre propre manière de la faire sonner ensemble. Le tout est de parvenir à vraiment faire voir les images suggérées par la musique.

Serge Krichewsky, hautboïste à l’Orchestre du Capitole, nous parle de l’œuvre fascinante de Debussy : La Mer

Quant à Jeux, c’est à l’origine une œuvre scénique, puisqu’il s’agit d’un ballet, mais Debussy l’avait certainement imaginé comme une pièce de concert à part entière lors de sa composition. L’histoire de Jeux a deux aspects : en surface, il s’agit d’un simple match de tennis, avec un trio de joueurs. Mais il s’y cache quelque chose de tout autre… quelque chose de très sexuel, pour dire les choses comme elles sont. Debussy joue avec cela dans sa musique, et les deux facettes s’y lisent. C’est une pièce redoutable pour l’orchestre (et aussi pour le chef), mais l’Orchestre du Capitole saura relever le défi haut la main !

Debussy avait choisi la célèbre Vague de Hokusai pour la couverture de la partition d’orchestre de La Mer. Sentez-vous une influence japonaise dans cette pièce ?

Un peu de sensibilité orientale, effectivement, mais pas tant que cela. C’est un choix à lier avant tout à la passion pour le Japon qui s’est emparée de l’Europe pendant la deuxième moitié du XIXe siècle. Peut-être Debussy voulait-il aussi nous dire que la nature est la même partout. Certes, une mer européenne et une mer japonaise ne sont pas rigoureusement identiques, mais la mer reste la mer, la nature reste la nature, et nous pouvons tous partager en musique cette planète à la nature si riche.


Fascinant Debussy

Grand concert symphonique

Vendredi 7 avril à 20h

Kazuki Yamada réunit ses deux pays de cœur, le Japon et la France, pour un concert au rythme de la mer. Du chef-d’œuvre de Debussy au Concert champêtre de Poulenc, la poésie des paysages français inspire des pages extraordinaires, où l’orchestre respire au gré des vents et des vagues.

Katsushika Hokusai, La grande vague de Kanagawa © DR